LA RÉSIDENCE DE L’ENFANT AU DOMICILE DE L’UN DE SES PARENTS, LES CRITÈRES UTILISÉS PAR LE JUGE.
En cas de désaccord des parents, le juge peut fixer la résidence habituelle d’un enfant chez l’un des parents. Cet article a pour objectif de dresser un panorama des plus importants critères utilisés par le juge pour déterminer la fixation de la résidence habituelle.
La résidence alternée de l’enfant chez ses deux parents est-elle devenue le principe et la résidence chez l’un des parents l’exception ?
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La loi ne répond toujours pas à cette question, la rédaction du premier alinéa de l’article 373-2-9 du Code civil le démontre. La résidence alternée n’est qu’une alternative à la résidence chez l’un des parents. Autant elle peut représenter un principe pour les parents autant pour le juge, lorsqu’il est fondé à la fixer, elle n’est qu’une possibilité parmi d’autres.
Une autre de ces possibilités est la résidence chez l’un des parents, parfois la hantise des parents, elle reste pour le juge un des moyens de préserver l’intérêt de l’enfant.
Encore faut-il comprendre les critères utilisés par le juge pour en déterminer la substance (II) après avoir déterminer les fondements textuels (II).
I. Les fondements textuels.
Les principaux articles du Code civil constituant le fondement juridique de la décision du juge sont les suivants :
L’article 371-1 du Code civil dispose que :
« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.
Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.
L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques.
Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».
L’article 373-2-6 du Code civil dispose en son premier alinéa que :
« Le juge du tribunal judiciaire délégué aux affaires familiales règle les questions qui lui sont soumises dans le cadre du présent chapitre en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ».
L’article 373-2-9 du Code civil dispose que :
« En application des deux articles précédents, la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux.
A la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux ».
L’article 373-2-11 du Code civil dispose que :
« Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :
1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;
2° Les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 ;
3° L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ;
4° Le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;
5° Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 ;
6° Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre ».
L’article 371-5 du Code civil dispose que :
« L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S’il y a lieu, le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs ».
La Première Chambre civile de la Cour de cassation a précisé que la détermination de la résidence de l’enfant chez l’un ou l’autre de ses parents peut relever d’un accord des parents ou d’une décision du juge qui tranche un conflit sur ce point. Lorsque c’est le juge qui décide, il dispose alors d’un pouvoir souverain d’appréciation. Comme toutes les décisions relatives à l’autorité parentale, la détermination de la résidence doit être fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant conformément à l’article 373-2-6 du Code civil [1].
Ce que l’on peut conclure de ces différents articles du Code civil et de la jurisprudence de la Cour de cassation c’est qu’une décision fixant la résidence de l’enfant sera systématiquement fondée sur l’intérêt de l’enfant. Ainsi, les désidératas des parents ne seront jamais un critère sur lequel le juge se fondera.
Qui plus est, le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain pour déterminer quelles sont les modalités en mesure de protéger l’intérêt de l’enfant en effectuant un contrôle in concreto [2].
Ce pouvoir souverain des juges du fond explique qu’il n’existe que peu de jurisprudence de la Cour de cassation relative aux critères de fixation de la résidence de l’enfant, c’est en effet plutôt du côté des cours d’appel qu’il faut se pencher pour saisir toutes les subtilités de l’art de la fixation de la résidence de l’enfant chez l’un des parents.
Ainsi en résumé et pour reprendre toutes ces sources, le juge du fond peut toujours fixer la résidence chez seulement l’un des parents (ce n’est pas une exception au principe de la résidence alternée), il doit toujours le faire en cherchant à préserver l’intérêt de l’enfant et pour cela, il dispose d’un pouvoir souverain (c’est-à-dire qu’il est libre de considérer que tel fait est une atteinte ou non à l’intérêt supérieur de l’enfant et donc justifie ou non la résidence chez l’un des parents).
Ainsi, au fil du temps, les différentes cours d’appel ont pu établir des critères guidant l’action des juges de première instance.
II. Les critères utilisés par les juges du fond.
En ce qui concerne les critères utilisés par le juge, l’article 373-2-11 du Code civil en fournit une liste non exhaustive sans qu’en soit prévue une hiérarchie.
Ainsi, il apparait que la pratique antérieurement suivie par les parents peut constituer un critère. C’est conforme à la position des juges du fond qui n’hésitent pas à protéger la stabilité de l’enfant en évitant les changements intempestifs de résidence.
Le juge décidera le plus souvent de changer la résidence de l’enfant lorsque ce dernier a déjà pris ses habitudes uniquement dans le cas où son intérêt le commande [3].
Ce qu’il faut comprendre c’est qu’un enfant qui a une résidence stabilisée chez l’un de ses parents voit son intérêt atteint lorsque cette stabilité est rompue par le changement de résidence, il faut donc avoir un motif suffisant à justifier cette atteinte. Le juge procédera donc souvent à un contrôle de proportionnalité entre le gain du changement et la perte de stabilité au regard de l’intérêt de l’enfant.
La notion de stabilité de l’enfant doit ainsi se comprendre comme étant une composante de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les sentiments exprimés par l’enfant peuvent constituer un critère de détermination utilisé par le juge. Néanmoins, le juge ne doit pas abandonner son pouvoir souverain à l’enfant. Le juge procède là encore à un contrôle de la motivation du souhait exprimé par l’enfant. La difficulté étant que l’enfant dans ce cas se retrouve souvent dans un conflit de loyauté envers ses parents. Là encore, c’est le gain au regard de l’intérêt de l’enfant qui primera, cet intérêt supérieur reste la boussole guidant l’action du juge.
La capacité des parents à assumer leurs devoirs et respecter les droits de l’autre parent est également un critère posé par l’article 373-2-11 du Code civil. Ce critère peut paraitre contre-intuitif dans la mesure où il a été bien précisé que seul l’intérêt de l’enfant guide l’action du juge. Il est souvent fait application de l’article 371-4 du Code civil qui précise que l’enfant a le droit d’entretenir des relations avec ses parents et que seul son intérêt peut constituer une dérogation. Ce critère doit dès lors plus fortement se rattacher à l’intérêt de l’enfant pour gagner en vigueur [4].
La jurisprudence a pu préciser que ce respect des droits de l’autre parent peut s’entendre d’une aptitude à la communication. C’est d’ailleurs plutôt un critère qui est utilisé par les juges du fond pour refuser la résidence alternée lorsque la communication n’est pas suffisamment sereine. Cet état de la jurisprudence constitue une tentation d’alléguer une communication impossible pour éviter le prononcé d’une résidence alternée lorsqu’elle est demandée. Néanmoins, il ne faut pas s’y méprendre car les juges sont très vigilants sur ce point et n’hésitent pas à sanctionner cette tentative de tromperie. Les juges du fonds considèrent même que le défaut de communication n’est pas, à lui seul, un motif empêchant la résidence alternée [5].
Ensuite, il existe des outils à la disposition du juge, notamment les expertises, enquête sociale et contre-enquête sociale. C’est souvent le moyen le plus impartial dont disposera le juge au moment de trancher sur les questions de modalités d’exercice de l’autorité parentale.
Enfin, l’article 373-2-11 du Code civil termine par la mention des violences exercées par l’un des parents sur l’autre. C’est la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants qui introduit ce critère. L’idée étant de considérer le parent violent envers l’autre parent comme ayant une incidence directe sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Ainsi désormais, il est possible d’alléguer des faits de violence conjugale afin d’orienter la décision du juge relative à la fixation de la résidence principale de l’enfant.
La jurisprudence n’est cependant pas limitée par les critères posés par la loi. Elle a ainsi pu énoncer des critères distincts en interprétant la notion malléable d’intérêt de l’enfant.
Un des cas souvent évoqué est celui de l’enfant en bas âge qui aurait un besoin maternel plus important que paternel, ainsi la Cour de cassation n’hésite pas à valider ce raisonnement opéré par des juges du fond en insistant sur le fait que la mesure est prescrite dans l’intérêt de l’enfant [6].
La notion de sécurité énoncée à l’article 371-1 du Code civil est une des principales composantes de l’intérêt de l’enfant utilisé par le juge du fond. Ainsi, tout ce qui porte atteinte à la sécurité de l’enfant peut justifier la fixation de la résidence chez l’un des parents, à condition que le danger soit suffisamment caractérisé, la preuve étant dans ce domaine d’une importance capitale.
De manière générale, tout comportement d’un parent sans considération de l’intérêt de l’enfant peut justifier un changement de modalités d’exercice de l’autorité parentale. Par exemple, une cour d’appel a confirmé la décision d’un juge de première instance de transférer la résidence d’un enfant chez son père en raison du déménagement de la mère seulement motivé par des considérations affectives [7].
Dans ce cas d’espèce, l’intérêt de l’enfant renvoyait en réalité à la stabilité de l’enfant qui avait dû abandonner ses amis et son environnement.
En conclusion, il apparait que les juges du fond doivent systématiquement procéder à une évaluation de l’intérêt de l’enfant. Cette notion n’est pas définie précisément par la loi qui se borne à énoncer la sécurité, la santé, la moralité ou encore le respect dû à sa personne et la jurisprudence a pu ainsi préciser ces différents aspects de l’intérêt de l’enfant.
Dès lors, si l’intérêt de l’enfant est un concept évolutif, les critères utilisés pour déterminer si l’intérêt de l’enfant est protégé sont a fortiori évolutifs eux aussi et c’est ce qui explique le sentiment d’un aléa dans la décision du juge.
Historique
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